Saint François et le Sultan
Dialogue islamo-chrétien
Voici l'histoire de la rencontre entre François
d'Assise et le Sultan Al Malik Al Kamil telle que rapportée
par Saint Bonaventure 1
qui a écrit sur la vie de François, approuvé
en 1266 par l'Ordre des Frères Mineurs. Cet épisode de la vie de François
a été repris par quelques journaux lors de la conférence d'Assise, en
janvier 2002 ou suite aux attentats du 11 Septembre 2001, pour donner un
«ancien» exemple de dialogue islamo-chrétien.
Nous sommes en 1219.« Une troisième fois, il tenta de passer chez les infidèles
pour favoriser, en y répandant son sang, l'expansion de la foi en la
sainte Trinité, et, la treizième année qui suivit sa conversion,
partit pour la Syrie, s'exposant avec courage aux dangers de tous
les instants, pour arriver chez le sultan de Babylone en personne. La guerre
sévissait alors, implacable entre chrétiens et sarrazins, et les deux
armées ayant pris position face à face dans la plaine, on ne pouvait
sans risquer sa vie passer de l'une à l'autre. Le sultan avait
d'ailleurs publié un édit cruel promettant un besant d'or en
récompense à quiconque apporterait la tête d'une chrétien.
Mais dans l'espoir d'obtenir sans tarder ce qu'il désirait, François,
le vaillant chevalier du Christ,
résolut de s'y rendre : loin de craindre la mort, il se sentait attiré
par elle. Après avoir prié, il obtint la force du
Seigneur 2 et, plein de confiance, chanta ce verset du Prophète: «Si
j'ai à marcher au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai
aucun mal, car tu es avec moi 3.»
S'étant adjoint pour compagnon frère Illuminé, homme d'intelligence
et de courage, il s'était à peine mis en route qu'il rencontrait deux
brebis ; à leur vue il se sentit tout réjouit et dit à son compagnon :
«Aie confiance dans le Seigneur 4,
frère, car voici accompli pour nous cet avertissement de l'Évangile :
«Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups
5... » Quelques pas plus loin, ils
tombaient dans les avant-postes des sarrazins, et ceux-ci, plus
rapides que les loups se jetant sur les brebis, se précipitèrent
brutalement sur eux et s'en saisirent avec haine et cruauté, les
accablant d'injures, les
chargeant de chaînes et les rouant de coups. À la fin, après les avoir
maltraités et meurtris de toutes manières, ils les amenèrent,
conformément aux décrets de la divine Providence, en présence du
sultan : c'était ce qu'avait désiré l'homme de Dieu.
Le prince leur demanda qui les envoyait, pourquoi et à quel titre, et
comment ils avaient fait pour venir ; avec sa belle assurance, le
serviteur du Christ François
répondit qu'il avait été envoyé d'au-delà des mers non par un homme
mais par le Dieu très-haut pour lui indiquer, à lui et à son peuple,
la voie du salut et leur annoncer l'Évangile qui est la vérité.
Puis il prêcha au sultan Dieu Trinité et Jésus sauveur du monde, avec
une telle vigueur de pensée, une telle force d'âme et une telle
ferveur d'esprit qu'en lui vraiment se réalisait de façon éclatante
ce verset de l'Évangile: «Je mettrai dans votre bouche une sagesse à
laquelle tous vos ennemis ne pourront ni résister ni contredire
6.»
Témoin en effet de cette ardeur et de ce courage, le sultan l'écoutait
avec plaisir et le pressait de prolonger son séjour auprès de lui ;
mais le serviteur du Christ, instruit par une indication du ciel lui
dit : « Si tu veux te convertir au Christ, et ton peuple avec toi,
c'est très volontiers que, pour son amour, je resterai parmis vous. Si
tu hésite à quitter pour la foi du Christ la loi de Mahommet, ordonne
qu'on allume un immense brasier où j'entrerai avec tes prêtres, et tu
sauras alors qu'elle est la plus certaine et la plus sainte des deux
croyances, celle que tu dois tenir.» --- «Je doute, remarqua
le sultan, qu'un de mes prêtres veuille pour sa foi s'exposer au feu
ou subir quelque tourment.» Il venait en effet d'apercevoir l'un
de ses prêtres, pontif éminent et avancé en âge pourtant s'éclipser en
entendant la proposition de François. Le saint lui dit alors : «Si
tu veux me promettre, en ton nom et au nom de ton peuple, que vous
passez tous au culte du Christ pourvu que je sorte des flammes sans
mal, j'affronterai seul le feu. Si je suis brûlé, ne l'attribuez qu'à
mes péchés ; mais si la puissance de Dieu me protège, reconnaissez
pour vrai Dieu, seigneur et sauveur de tous les hommes, le
Christ, puissance et sagesse de Dieu 7
!» Le sultan n'osa point accepter ce contrat aléatoire par
crainte d'un soulèvement populaire ; mais il lui
offrit de nombreux et riches cadeaux que l'homme de Dieu
méprisa comme de la boue: ce n'était pas des richesses du monde qu'il
était avide, mais du salut des âmes.
Le sultan n'en conçut que plus de dévotion encore pour lui, à
constater chez le saint un si parfait mépris des biens d'ici-bas ;
malgré son refus ou peut-être sa peur de passer à la foi chrétienne,
il pria cependant le serviteur de Dieu, afin d'être plus certainement
sauvé, d'emmener tous ces présents et de les distribuer aux chrétiens
pauvres ou aux églises. Mais le saint, qui avait horreur de porter de
l'argent, et qui ne découvrait pas dans l'âme du sultan les racines
profondes de la foi vraie, s'y refusa inexorablement. »
Le journal Le Courrier 8, ajoute :
«Les jours se mettent alors à défiler à grande vitesse, entraînant
les deux
hommes de surprise en surprise. François et Illuminé se rendent compte,
en effet que les sarrasins ont peu à voir avec cette «race abominable»
qu'on leur a décrite en Europe. Cinq fois par jour, les deux frères
écoutent l'appel du muezzin et regardent avec admiration tous ces hommes
courbés vers le sol, unis dans leur prière au Dieu unique.
Pour dire vrai, François et Illuminé ne comprennent pas très bien ce qui
leur arrive : ils n'obtiennent ni le martyre dont ils rêvaient avant de
partir, ni la conversion de Al Malik et de ses proches. Quelque peu déçus,
ils annoncent leur départ au sultan et reprennent la route d'Assise. Les
voies de Dieu, décidemment, sont impénétrables.»
« Il semble, souligne Albert Jacquard 9 que le sultan n'oublia pas le
sourire de François, sa douceur dans l'expression d'une foi sans
limite. Peut-être ce souvenir fut-il décisif lorsqu'il décida, dix
années plus tard, alors qu'aucune force ne l'y contraignait, de
rendre Jérusalem aux chrétiens. Ce que les armées venues d'Europe
n'avaient pu obtenir, l'intelligence et la tolérance de Malik
al-Kamil permettraient à l'islam de l'offrir. Sans doute le regard
clair de François avait-il poursuivi son lent
travail dans la conscience de cet homme ouvert à la pensée des autres.»
Les Fioretti 10 ajoutent cette anecdote :
«À la fin, saint François, voyant qu'il ne pourrait réaliser plus
de fruits dans ces contrées, se décida, par révélation divine à
retourner parmi les fidèles avec tous ces compagnons ; et les ayant
réunis tous ensemble, il retourna près du Sultan et prit congé de
lui. Alors le Sultan lui dit : « Frère François, je me convertirai
très volontier à la foi du Christ, mais je crains de le faire
maintenant ; car si les gens d'ici l'apprenaient ils me tueraient avec
toi et tous tes compagnons ; et comme tu peux faire encore beaucoup de
bien et que j'ai à achever certaines affaires de très grande
importance, je ne veux pas causer maintenant ta mort et la
mienne. Mais apprends-moi comment je pourrai me sauver, je suis prêt
faire ce que tu m'imposeras.» Saint François dit alors : «
Seigneur, je vais maintenant vous quitter, mais après que je serai
retourné dans mon pays et, par la grâce de Dieu, monté au ciel après
ma mort, je t'enverrai, selon qu'il plaira à Dieu, deux de mes frères,
de qui tu recevras le baptême du Christ ; et tu seras sauvé, comme me
l'a révélé mon Seigneur Jésus-Christ. Et toi, en attendant, dégage-toi
de tout empêchement, afin que quand viendra à toi la grâce de Dieu,
elle te trouve disposé à la foi et à la dévotion.» Le Sultan
promit de le faire et il le fit.
Après cela, saint François s'en retourna avec le vénérable collège de
ses saints compagnons ; et quelques années plus tard saint François,
par la mort corporelle, rendit son âme à Dieu. Et le Sultan, étant
tombé malade, attendit la réalisation de la promesse de saint François
et fit mettre des gardes à certains passages, ordonnant que si deux
frères, portant l'habit de saint François, venaient à s'y montrer, on
les lui amenait immédiatement. En ce même temps, saint François
apparut à deux frères et leur commanda de se rendre sans retard près
du Sultan et de lui procurer son salut, comme lui-même le lui avait
promis. Ces frères se mirent immédiatement en route, et après avoir
passé la mer ils furent par ces gardes menés près du Sultan. En les
voyant, le Sultan eut une très grande joie et dit : «Maintenant,
je sais vraiment que Dieu m'a envoyé ses serviteurs pour mon salut,
selon la promesse que, par révélation divine, m'a faite saint
François.» Il reçut donc desdits frères l'enseignement de la foi
du Christ et le saint baptême, et ainsi régénéré dans le Christ il
mourut de cette maladie ; et son âme fut sauvée par les mérites et
l'opération de saint François 11.»
N.R.